Yelle @ Brest European Short Film Festival

 

Interview par Anne-Cécile L.
Crédit photo:
Manuel Brulé.

Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Yelle: Je m’appelle Yelle, mon vrai prénom est Julie. J’ai 32 ans, je suis chanteuse et je vis à Saint Brieuc en Bretagne. Je suis hyper contente d’être au Festival du Film Court de Brest, c’est ma première fois ici et je suis ravie de cette nouvelle expérience de jury ! C’est un vrai plaisir, l’équipe était cool, on s’est bien amusés !

Dans un premier temps, je voulais savoir quel rapport entretiens-tu avec le cinéma ?
Yelle: J’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont toujours amenée au cinéma étant petite, ils m’ont emmenée voir des choses très différentes… Des films, des films d’animation, des documentaires, des choses très variées… Ils m’ont toujours intéressée à ça et j’ai grandi en ayant un goût pour le cinéma.
J’ai beaucoup moins le temps d’y aller parce que je suis souvent en déplacement. Dès que je suis chez moi je me rattrape, je regarde des DVDs, j’emprunte, je vais au cinéma, je lis des critiques et je demande conseil à ma mère qui est une grande cinéphile… C’est toujours quelque chose qui me passionne, que je ne peux pas toujours assouvir mais qui reste une passion.

Quels sont tes goûts toujours en matière de cinéma ?
Yelle: C’est assez varié, j’ai fait des études de cinéma, j’ai fait un DEUG en Arts du Spectacle à Rennes. J’ai commencé à m’inscrire en théâtre puis j’ai changé vers le cinéma, je faisais aussi l’option musique. Tout s’est toujours un peu entremêlé…
J’aime beaucoup le cinéma de la Nouvelle Vague parce que c’est un cinéma un peu expérimental. J’aime bien le côté parfois « bout de ficelle » ou un peu « décousu », quelque chose qui est un peu désorganisé dans l’organisation, un peu flottant… Quelque chose de fragile tout simplement. Et à l’inverse mes films préférés sont
Wayne’s World I et II, donc rien à voir avec le cinéma de la Nouvelle Vague.
Aujourd’hui c’est très varié, je peux autant me laisser aller dans une comédie, une comédie romantique, quelque chose de très léger qui va me parler parce que ça me fait rire, que c’est bien senti… Et à l’inverse être touchée par un film bizarre ou un peu expérimental.
Malgré mes études de cinéma, et le regard que tu peux y acquérir, je n’ai pas ce truc « technique ». Finalement même après avoir appris à décortiquer un film, je me rends compte que c’est quand même le moment, l’instant, la lumière, le détail, le cadre, la musique qui vont faire que tu accroches ou pas. 

Je ne pense pas qu’avoir fait des études en cinéma oriente… Peut-être qu’inconsciemment ça forge quelque chose, une façon de regarder ou un œil particulier mais je crois que le plus important c’est justement de ne pas trop intellectualiser et de garder en tête qu’est ce que ça te fait ? Est-ce que ça te touche ?
Dans la sélection du festival, il y a un film qui m’a mise mal à l’aise… Il me reste en tête et même si je n’ai pas envie de le mettre en avant parce qu’il y a quelque chose qui m’a gênée, dans l’histoire… Malgré tout ça, il reste et ça veut quand même dire que le pari est réussi. Ce n’est pas que procurer un sentiment de plaisir ou de bien être, de paix, de joie… C’est avant tout laisser une empreinte même si c’est une empreinte un peu négative.

Toi qui es musicienne, quelle place accordes-tu à l’image dans ton univers et dans tes clips notamment ?
Yelle: C’est hyper important depuis le début! On a toujours toujours accordé beaucoup d’importance à l’image avec Grand Marnier, avec qui je travaille. On fait tout ensemble. On a toujours eu envie de mettre quelque chose en avant, quelque chose qui n’est pas toujours cohérent d’ailleurs dans le sens où on aime bien aller dans des directions un peu différentes. On a envie de tenter des choses, notamment de travailler avec des réalisateurs qu’on aime bien.
Même si beaucoup de nos clips ont été réalisés par d’autres gens, il y a toujours de la co-direction à un moment. On est toujours très investi dans l’écriture des clips, dans les choix esthétiques comme le choix des couleurs, le stylisme… Peut être qu’on sera capables de le faire tout seul un jour, mais pour l’instant on a vraiment besoin d’être intégrés au projet, de participer à l’élaboration et à la création. Je crois qu’on a un peu de mal à lâcher complètement le truc et de tout confier à quelqu’un ! Pourtant c’est intéressant parce que ce sont des gens qui peuvent aussi t’apporter une autre vision de toi et de ta musique à laquelle tu ne penses pas forcément. 

Concernant ta venue ici, comment s’est passé ta rencontre avec le Festival du Film Court de Brest ? 
Yelle: C’est le festival m’a contactée. J’ai déjà été jury deux fois, à Cabourg et à Namur. Hervé Le Phuez, le programmateur du Festival International du Film Francophone de Namur, avec qui je me suis très bien entendue, m’a mise en contact avec Massimiliano Nardulli (le programmateur du Festival du Film Court de Brest) qui voulait m’inviter en tant que jury. J’ai dit oui, bien sur !
Être jury c’est quelque chose qui m’intéresse, alors à Brest, dans une ville bretonne, j’avais encore plus envie de venir ! Et puis j’ai un copain qui fait parti de l’association Côte Ouest, je le vois poster très régulièrement des choses sur le festival, je regarde… Mais je ne m’étais jamais dit « Allez, j’y vais ! » L’occasion ne s’était jamais présentée, je suis rarement en France à cette période de l’année. Cette fois tout concordait. J’ai rencontré plein de gens et j’ai retrouvé aussi plein de personnes que je connaissais, c’est très rigolo !

Tu es toi-même bretonne, est-ce que c’est le fait que le festival soit brestois t’as influencée?
Yelle: Oui, évidemment, peut être que je ne serai pas forcément allée à l’autre bout de la France… Après, je suis quelqu’un d’assez curieuse donc peut être que le fait de découvrir un endroit que je ne connais pas aurait aussi été un atout…
Je me sens vraiment bien dans cette ville, j’aime les gens, la chaleur des gens ici, et l’ambiance… Connaissant les soirées brestoises, je me suis dit que ça ne pouvait qu’être sympa un festival à Brest! J’ai imaginé quelque chose de très chouette et je ne me suis pas trompée !

Et en dehors de tout ça, qu’est ce qui t’as poussé à accepter de faire partie du jury?
Yelle: Je trouve que c’est un exercice assez difficile finalement de choisir des films avec un groupe de personnes que tu ne connais pas, qui ont des sensibilités différentes de la tienne… Toutes ces discussions, tous ces échanges sont hyper riches ! Je suis très curieuse donc ça m’intéresse beaucoup d’échanger avec les gens sur ce qu’ils ressentent, sur leur vision.
C’est aussi intéressant en tant qu’artiste de se mettre dans la position inverse : d’être spectateur, d’être juge du travail de quelqu’un d’autre. C’est aussi pas mal de pression parce que finalement tu te rends compte qu’il y a quand même un enjeu, un petit peu d’argent… On connait la situation actuelle du cinéma français et plus particulièrement celle du court-métrage qui est un petit peu à part quand même, même si ça va dans un sens très positif… Donc on se dit qu’avoir un prix, et recevoir 2000 euros pour quelqu’un ça peut changer la donne sur le montage d’un projet. C’est important, on sent qu’on a une responsabilité pour aider à la suite d’une carrière.

Pour avoir tourné dans un court-métrage qui a été primé, et justement avoir vu que tout ça était important pour le court, pour son existence, et pour qu’il voyage de festival en festival, je me dis qu’on a un petit peu de responsabilité. Je trouve ça vraiment intéressant de se mettre à une place inhabituelle.

J’imagine que tu as vu quasiment tous les films de la programmation, est-ce tu as déjà eu des coups de cœur ? Des films qui t’ont « marquée » ?
Yelle: Oui, il y a plusieurs films qui sont ressortis, qui étaient un peu une évidence même si après tu discutes quand même, tu vas dans les détails… Il y en a notamment un qui est ressorti et qui m’a touchée sur toute la longueur… Sur l’esthétique, sur la relation entre les personnages… C’était pour moi était assez évident.
On a justement parlé de la programmation avec le reste du jury, on s’est dit qu’il y a beaucoup de choses qui reviennent, des thèmes notamment les relations parents/enfants qu’on revoit dans plein de films et c’est assez intéressant de voir ça. Je ne sais pas si c’est générationnel, si c’est un truc dans l’air du temps…
Il y a quelque chose d’assez rude aussi, il n’y a pas beaucoup d’espoir dans ces films. On en parlait avec Claude Duty et Christophe Le Masne, qui sont un peu plus âgés et qui ont aussi participé à plusieurs festivals. Ils ont une autre lecture, ils ont vu des choses au fil des années… Et ils me disaient qu’il y a quelques années, il y avait déjà ce genre de films mais il y avait toujours une touche d’espoir, une lueur. Là c’est quand même super noir, super tendu et violent parfois… C’est très compliqué. Et en même temps on se disait que c’est quand même un reflet de la société actuelle, qui parle de situations difficiles, de manque d’argent, de rapports compliqués et de non-réponse justement, de parfois se retrouver sans clés, sans réponse pour avancer dans la vie.
C’est une image assez forte de la société actuelle et je pense que c’est finalement comme ça tout le temps. C’est banal ce que je dis là, mais on fait aussi des films pour raconter ce qui nous touche dans le quotidien et ça peut se faire écho puisque les gens vivent les mêmes choses.

J’ai vu le court-métrage dans lequel tu as joué, Une pute et un poussin de Clément Michel, que j’ai adoré.
Est-ce que c’était ta première expérience dans un court-métrage / en tant qu’actrice? Et si oui, a
s-tu suivi des « cours » ou une formation avant de te lancer dans ce projet ?
Yelle: C’était ma première expérience dans un court-métrage et en tant qu’actrice… Même si j’ai fait des choses quand j’étais étudiante, j’ai notamment fait beaucoup de théâtre… 
Je n’ai pas suivi de cours, et c’était aussi ce qui intéressait Clément. Je n’avais pas d’expérience et lui voulait quelque chose de brut, de neutre et frais. C’est marrant parce que je l’ai vu il n’y a pas très longtemps, en lui disant que j’avais très envie de recommencer, que j’avais vraiment à cœur de refaire du cinéma. Et je lui disais aussi que je prendrais bien des cours, il m’a dit « Surtout pas ! Ne prend surtout pas de cours parce que ce qui est intéressant chez toi c’est cette naïveté justement, tu arrives et puis tu fais les choses comme tu le ferais dans ton quotidien. Tu n’as pas cet espèce de truc où tu te demandes comment tu pourrais jouer ? Ca ne plait pas à certains, mais il y en a d’autres que ça va toucher au contraire.»
Et il a raison, parce que je n’ai pas envie d’être une actrice… J’ai envie de jouer des rôles parce que ces rôles là me touchent, parce que l’histoire me touche et qu’il se passe quelque chose avec le réalisateur, avec le scénariste. Je crois que c’est plus ça qui m’intéresse : ces rencontres et ces expériences, plus qu’être capable de faire quelque chose finalement.

Ton expérience d’artiste et ta formation artistique influencent-elles ton regard de spectatrice, que ce soit en musique ou en cinéma ?
Yelle: Au cinéma, ça ne me gêne pas trop… Après c’est marrant mais il y a des fois des choix musicaux qui vont me choquer, où je vais me dire que telle musique là ne va pas du tout à ce moment là, je ne comprends pas le choix du réalisateur.
Je pense qu’il y a des réalisateurs qui sont sensibles, d’autres qui le sont moins et pour qui la musique n’est pas si importante que ça. Pour moi, finalement, ça l’est beaucoup et ça me touche positivement ou négativement.

Je suis plus critique quand je vais voir un concert. La manière dont sont les gens sur scène, mais aussi des petits détails par exemple quand la lumière n’est pas sur le temps, etc… Des fois ça peut marcher sans, mais d’autres fois je me dis qu’il manque quelque chose pour que la mayonnaise prenne. Ca peut influencer négativement mon regard ou l’instant parce que je vais me laisser distraire par ces trucs là, qui sont des détails techniques. Finalement après quelques années d’expériences, tu ne peux pas t’empêcher de te dire « Putain le batteur il est pas très carré… » Mais parfois c’est aussi ce qui en fait le charme, tu vas te dire que le chanteur est un petit peu en dessous de la note et c’est justement ce qui fait la différence… Au contraire, s’il chantait super juste ça serait chiant à écouter, il n’y aurait pas sa patte. C’est hyper subjectif, ce n’est pas quelque chose qu’on peut vraiment défendre. Mais les gens qui ne sont pas musiciens et qui passent beaucoup de temps à écouter ou à aller voir des concerts peuvent aussi avoir ce regard là !

Tu l’as déjà un peu évoqué mais, aimerais-tu collaborer à nouveau au cinéma ?
Yelle: Oui, vraiment beaucoup ! Surtout que là on vient de terminer la tournée de notre album Complètement fou. Quand on a des périodes d’écriture c’est quand même plus facile de se projeter, s’il y a un projet qui arrive je peux caler quelque chose sans que ce soit compliqué. Quand on part en tournée ça l’est beaucoup plus.

Et as-tu déjà associé ta passion pour la musique et pour le cinéma, en collaborant à la création de bandes originales de films par exemple ?
Yelle: On a fait un morceau pour un film qui s’appelait Nos dix-huit ans, on avait fait le titre original du film, c’était la seule fois.

De toutes ces expériences, tu préfères le travail d’actrice ou celui de compositrice de bande originale ?
Yelle: Finalement j’ai peu d’expérience dans les deux domaines, donc je pense que les deux seraient encore à tester. Je trouve que créer de la musique à partir d’images c’est un sacré job. Je ne sais pas si je serais capable de le faire sur tout un film mais créer un morceau original pour un film c’est un super exercice. On cadre avec une thématique et une énergie, on essaye de faire ce que le réalisateur a envie que ça génère.

Est-ce qu’il y a des artistes bretons que tu affectionnes particulièrement ?
Yelle: Il y a eu dans les années 80 à Rennes une grosse scène rock / new wave avec des groupes comme Marquis de Sade… Ou Etienne Daho par exemple, c’est quelqu’un que j’adore, que je respecte et que j’aime beaucoup ! Il vient de Rennes. Je suis aussi hyper fan du groupe Niagara, qui ont fait leurs études à Rennes… C’est plus une scène que des groupes finalement…
Et dans la scène actuelle, il y a un groupe qu’on a produit qui s’appelle Totorro, c’est du math rock donc ça n’a rien à voir avec ce qu’on fait. On a eu un énorme coup de cœur en les voyant sur scène, il y a quelques années pendant le festival Art Rock. On s’est hyper bien entendu avec eux et on leur a proposé de produire leur premier album. J’aime bien dire que ce n’est pas parce que nous on fait de la pop qu’on ne peut pas aimer d’autres styles de musique, et soutenir des artistes d’une scène complètement différente de la notre. Totorro pour moi c’est une expérience à vivre en live. J’adore les écouter sur disque mais je trouve qu’à vivre en concert c’est quelque chose de très physique, de très puissant et de très émouvant. J’ai pleuré plusieurs fois en les voyant en concert alors qu’il n’y a pas de paroles, c’est un groupe qui me prend les tripes donc si je devais en choisir un ce serait eux.

On arrive à la dernière question de l’interview: quels sont tes projets d’avenir ?
Yelle: Mes projets c’est déjà de me reposer puisque l’année et demie qui s’est écoulée a été très intense. Je me disais que c’est comme quand tu fais une nuit blanche, tu dors deux jours pour récupérer… Mais quand tu accumules beaucoup de fatigue, tu ne récupères pas tout de suite… Et je ne me suis pas encore arrêtée depuis notre dernier concert qui était le 10 octobre, j’ai fait beaucoup de choses… Donc je pense que je vais passer la fin du mois de novembre et décembre chez moi à ne rien faire, à étudier toutes les propositions de scénario qu’on va m’envoyer ! Et peut-être qu’à partir de 2016 les choses recommenceront.
On a vraiment envie de refaire de la musique, parce que quand tu t’arrêtes tu n’as pas envie que ça s’arrête trop longtemps ! Mais j’ai aussi envie de me laisser le temps de pouvoir faire des choses au cinéma, que ce soit des courts-métrages, des longs métrages… Faire des festivals comme ici, ça permet aussi de rencontrer des gens et d’avoir des possibilités de faire des choses… On verra bien, mais tout est possible!

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